2014
Contrefaçon de dessins et modèles communautaires : la protection des design enregistrés et non enregistrés en Europe
Matthieu CORDELIER / 0 Comments /La Cour de Justice de l’Union Européenne vient de revenir sur les notions de dessins et modèles enregistrés et de dessins et modèles non enregistrés, dans un arrêt n° C‑345/13 du 19 juin 2014 « Karen Millen Fashions Ltd contre Dunnes Stores, Dunnes Stores (Limerick) Ltd ».
Dans cet arrêt l’Avocat Général, M. Melchior Wathelet, a pris le soin, dans ses conclusions du 02 avril 2014, de rappeler et d’expliciter le texte du règlement n°6/2002 DU CONSEIL du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires.
Rappelons à ce titre que le règlement européen dispose que la protection d’un dessin ou modèle par un dessin oumodèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel, ces critères se définissant ainsi :
- CARACTERE NOUVEAU : un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au public :
a) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois ;
b) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle dont la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité.
- CARACTERE INDIVIDUEL : Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public :
a) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois ;b) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle dont la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité.
La CJUE a suivi les conclusions de son avocat général en concluant que, dans le cadre d’actions en contrefaçon, un dessin ou modèle communautaire non enregistré doit être présumé valide si son titulaire indique dans quelle mesure il présente un caractère individuel.
Toutefois la question portait également sur la question de savoir si l’existence du caractère individuel du dessin ou modèle (ou du design) doit être examinée en référence seulement à un ou plusieurs dessins ou modèles individuels divulgués au public antérieurement, ou s’il doit également être examiné en référence à des combinaisons d’éléments isolés, tirés de plusieurs dessins ou modèles antérieurs.
Dans son arrêt du 14 juin 2014, la Cour constate juge que le caractère individuel d’un dessin ou modèle en vue de l’octroi d’une protection au titre du règlement doit être apprécié par rapport à un ou plusieurs dessins ou modèles précis, individualisés, déterminés et identifiés parmi l’ensemble des dessins ou modèles divulgués au public antérieurement.
Par conséquent, cette appréciation ne peut pas se faire en référence à une combinaison d’éléments spécifiques et isolés, tirés de plusieurs dessins ou modèles antérieurs.
En conséquence pour s’assurer de la protection conférée par son dessin ou modèle, même non enregistré, le titulaire de droit doit donc simplement démontrer en quoi son dessin ou modèle présente un caractère individuel : c’est-à-dire qu’il doit identifier le ou les éléments du dessin ou modèle concerné(s) qui, selon lui, confère(nt) un tel caractère à celui-ci.
2014
La marque, même tridimensionnelle n’a pas vocation à protéger un design
Matthieu CORDELIER / 0 Comments /Marque ou modèle, il faut choisir. C’est ainsi que l’avocat général Maciej Szpunar auprès de la CJUE a estimé que le droit de l’Union excluait tout enregistrement à titre de marque des formes imposées par la fonction du produit ainsi que les formes dont les caractéristiques esthétiques décident de l’attrait exercé par le produit.
En l’espèce, la société norvégienne Stokke A/S a déposé auprès de l’Office Benelux de la propriété intellectuelle une demande d’enregistrement pour une marque tridimensionnelle.
Cette marque reprend le dessin en trois dimensions (ou le design ou le modèle, selon l’expression préférée) de la chaise pour enfant « Tripp Trapp ».
De son côté, la société allemande Hauck GmbH & Co. KG produit et distribue des articles pour enfant, dont deux modèles de chaise nommés « Alpha » et « Beta ».
La société Stokke A/S et les deux auteurs personne physique du design industriel introduisent un recours contre la société Hauck, au motif que la vente des chaises « Alpha » et « Beta » viole leurs droits d’auteur ainsi que les droits tirés de la marque enregistrée par la société Stokke A/S.
La société Hauck forme une demande reconventionnelle, afin de l’annulation de la marque. En 2000, une juridiction néerlandaise accueille favorablement le recours des auteurs en ce qui concerne la violation des droits d’auteur tout en annulant, conformément à la demande de la société Hauck, l’enregistrement de la marque de la société Stokke A/S.
Saisi d’un pourvoi en cassation, le « Hoge Raad der Nederlanden » (Cour suprême des Pays-Bas) pose à la CJUE des questions préjudicielles sur les motifs pour lesquels une marque constituée par la forme du produit peut être frappée de nullité.
C’est dans ce contexte que l’avocat général a estimé que la notion de « forme imposée par la nature même du produit », couvre non seulement les formes naturelles et les formes qui font l’objet de normes (comme par exemple la forme d’une banane pour les bananes ou bien celle d’un ballon de rugby), mais également d’autres formes, à savoir celles dont les caractéristiques essentielles résultent de la fonction du produit concerné. Il s’agirait par exemple, pour une table, de pieds accolés à un plateau horizontal ou, pour une brique, de la forme d’un parallélépipède.
L’avocat général considère également que le droit de l’Union exclut l’enregistrement d’une forme dont l’ensemble des caractéristiques essentielles sont conditionnées par la fonction utilitaire assurée par le produit. Réserver des caractéristiques revêtant une importance essentielle pour la fonction du produit au bénéfice d’un seul opérateur économique ferait obstacle à ce que des entreprises concurrentes attribuent à leurs produits une forme qui serait tout aussi utile à l’utilisation de ces derniers. Le propriétaire de la marque se verrait ainsi octroyer un avantage significatif qui aurait des effets négatifs sur la structure de la concurrence sur le marché concerné.
S’agissant du motif de refus ou de nullité basé sur les « formes qui donnent une valeur substantielle au produit », l’avocat général indique que le champ d’application de ce motif ne se limite pas aux œuvres d’art et aux œuvres des arts appliqués. Il concerne également les produits qui ne sont pas ordinairement perçus comme des objets assurant une fonction ornementale, mais pour lesquels l’aspect esthétique de la forme constitue l’un des éléments essentiels décidant de leur attractivité et joue un rôle important sur un certain segment défini du marché (comme c’est le cas pour les meubles de design). Partant, ce motif s’applique aux formes dont les caractéristiques esthétiques constituent une des raisons principales pour lesquelles le consommateur décide d’acheter le produit. Cette interprétation n’exclut pas que le produit présente d’autres caractéristiques importantes pour le consommateur.
Il semblait en effet utile de rappeler que les objets (les biens) matériels ne peuvent pas faire l’objet d’un dépôt de marque dans le sens où la forme de l’objet pourrait créer au bénéfice du déposant un monopole d’exploitation, ce qui n’est pas souhaitable.
En effet, la superposition du droit d’auteur et du droit des dessins et modèles (du design autrement dit) protègent déjà suffisamment les objet tridimensionnels faisant l’objet d’une exploitation artisanale ou industrielle.
A ce titre, la logique de l’avocat général n’est pas sans rappeler les analyses faites quant au caractère propre qu’un dessin ou modèle doit conserver afin de conférer une protection efficace à l’objet auquel il se rapporte.
Enfin, les conclusions de l’avocat général doivent également être mises en lumière au regard du fait qu’une marque peut être renouvelée sans limite de temps… alors que le dessin ou modèle est limité à 25 ans d’existence que ce soit un dessin ou modèle français ou un dessin ou modèle européen.
L’aspect temporel du monopole conféré au titulaire de droit n’est donc pas neutre dans l’affaire et il aurait été bon d’y faire directement référence, car c’est aussi cela qui motive, sans nul doute, la position de l’avocat général… position qui, rappelons-le, n’engage pas la CJUE…
Attendons donc la solution.