2015
La CEDH valide le principe de responsabilité « LCEN » des hébergeurs pour les avis et commentaires d’internautes
Matthieu CORDELIER / 0 Comments /La Cour Européenne des Droits de l’Homme, par un arrêt pris en Grande Chambre, en date du 16 juin 2015, a jugé que la loi « SSI » estonienne (loi sur les Services de la Société d’Information) était conforme à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Hommes et des Libertés Fondamentales (CDHLF) sur la liberté d’expression.
Or, la loi « SSI » estonienne, au même titre que la loi « LCEN » française, s’inscrivent dans la droite ligne des directives « SSI » 98/34/CE et « commerce électronique » 200/31/CE, comme le rappelle la Cour Européenne. Ce qui vaut pour la loi estonienne vaut donc pour la loi française.
A ce titre, cet arrêt souligne que les éditeurs de contenus, qui sont aussi hébergeurs de commentaires ou d’avis d’internautes sur ces contenus, ont une responsabilité limitée mais certaine, non seulement quant au prompt retrait des commentaires excessifs dépassant le cadre de la liberté d’expression, et à plus forte raison lorsque ces éditeurs-hébergeurs ne s’assurent pas de moyens réalistes pour tenir les auteurs desdits commentaires / avis responsables de leurs propos.
Pour arriver à cette solution, la Cour souligne bien que la législation estonienne, comme la législation française, met en avant le principe de liberté d’expression et de responsabilité limitée des hébergeurs de contenus, sans aucune obligation de contrôle a priori des informations hébergées.
Principe de liberté d’expression sauvegardé, pas de contrôle a priori, responsabilité limitée des hébergeurs
Dans la législation estonienne, poursuit la Cour dans son analyse, seuls sont susceptibles d’être poursuivies les atteintes à la personnalité, la diffusion d’informations fausses, et la responsabilité pour faute [süü] équivalent de notre article 1382 du Code civil.
Or, c’est exactement le type de législation préconisée par le Conseil de l’Europe dans sa Déclaration sur la liberté de la communication sur l’Internet du 28 mai 2003, texte qui est désormais consacré par l’important arrêt de la CEDH.
En effet, dans la déclaration du 28 mai 2003, le Conseil de l’Europe précise notamment que « Afin d’assurer une protection contre les surveillances en ligne et de favoriser l’expression libre d’informations et d’idées, les États membres devraient respecter la volonté des usagers de l’Internet de ne pas révéler leur identité. Cela n’empêche pas les États membres de prendre des mesures et de coopérer pour retrouver la trace de ceux qui sont responsables d’actes délictueux, conformément à la législation nationale, à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et aux autres traités internationaux dans le domaine de la justice et de la police« .
Que la CNIL se le tienne pour dit, depuis plus de 12 ans : il ne serait pas illégitime de conserver des données sur les utilisateurs de services en lignes, même à titre gratuit, pour leur identification future de l’auteur d’un éventuel délit ou d’une éventuelle atteinte aux droits d’un tiers. Cela n’est toutefois pas prévu (ou du moins pour une durée bien trop limitée) par le cadre légal sur la conservation des données personnelles, telle qu’encadrée par la CNIL dans ses précieuses déclarations CNIL que nous connaissons tous.
Responsabilité en cas de retrait tardif et de défaut de moyen d’identification de(s) (l’) auteur(s) de l’infraction ou de l’atteinte
Quant au contrôle – a posteriori – après signalement d’un contenu illicite, le Conseil de l’Europe détaille les moyens que peuvent employer les éditeurs de contenus qui hébergent également les commentaires ou avis des internautes sous leurs publications.
Enfin, la Cour rappelle les dispositions de la Directive « Services de la société de l’information » 98/34/CE dans la droite ligne de laquelle se situent les législations estoniennes et française.
En conséquence, l’arrêt relève notamment que l’insuffisance des mesures prises par la société d’édition requérante : 1) pour retirer sans délai après leur publication les propos litigieux ; et 2) pour assurer une possibilité réaliste de tenir les auteurs des commentaires pour responsables de leurs propos ; est susceptible d’engager la responsabilité d’un éditeur-hébergeur sans que ce dernier puisse arguer de la violation par la législation de son pays de l’article 10 de la CDHLF.
2015
Arrêt n° 617 du 6 mars 2015 (14-84.339) - Cour de cassation - Assemblée plénière
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/assemblee_pleniere_22/617_6_31235.html Read More2015
Arrêt n° 74 du 17 février 2015 (13-88.129) - Cour de cassation - Chambre criminelle - ECLI:FR:CCASS:2015:CR00074
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/74_17_31161.html Read More2014
Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 novembre 2014, 13-84.444, Publié au bulletin
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029765817&fastReqId=1147696876&fastPos=1 Read More2014
L’outrage commis à l’encontre d’agents territoriaux peut être poursuivi par la commune dont ils dépendent
Matthieu CORDELIER / 0 Comments /Dans un récent arrêt du 02 septembre 2014, la Cour de cassation se fonde sur l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 afin de reconnaître à une mairie (Ville de Dijon), le droit d’agir contre l’auteur d’une injure à l’encontre des agents territoriaux (des policiers municipaux) dont elle a la charge d’assurer la protection.
Les faits : le prévenu, un motocycliste mineur, à l’occasion d’un contrôle dont il a fait l’objet par des agents de la police municipale dans un parc de la ville de Dijon, alors qu’il circulait en deux-roues, a invectivé ces derniers en indiquant “vous êtes tous des enculés” (l’histoire ne dit pas si cette phrase était bien orthographiée à l’oral).
La procédure : l’un des policiers et la ville de Dijon ont poursuivi l’auteur de l’outrage en sollicitant réparation pour le préjudice subi. La Cour d’appel de Dijon, confirmant le jugement du Tribunal pour enfants de Dijon, déclare la constitution de partie civile de la ville irrecevable. C’est dans ce contexte que la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la recevabilité d’une telle constitution de partie civile par la une collectivité territoriale.
En effet, au sens de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, la collectivité publique, tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions, doit également, selon la Cour de cassation mener toute action visant à réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté.
Dans cet objectif, la mairie est subrogée aux droits de la victime et elle dispose, à ce titre, d’une action directe qu’elle peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale.
Il convient toutefois de noter que cette action intervient dans le cadre de poursuites pour outrage à agent (articles 433-5 et 433-22 du Code pénal.
Il ne s’agit donc pas d’une action en diffamation ou injure publique dont le sort aurait alors été régi par les articles 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Il convient de noter à ce titre que les deux infractions d’outrage à agent et d’injure publique commise envers un agent dépositaire de l’autorité publique, n’ont pas du tout les mêmes implications procédurales ni les mêmes sanctions.
Dans le cas de l’outrage à agent dépositaire de l’autorité publique, l’infraction est un délit puni pas six mois d’emprisonnement et un maximum de 7500 EURO d’amende… et surtout, ce délit se prescrit par trois ans, comme tout délit classique.
En revanche, l’action à l’encontre de l’auteur d’un injure publique faite à un élu, un ministre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l’autorité publique, telle prévue à l’article 33 de la loi de 1881, se prescrit par trois mois et ne comporte pas de peine de prison : la peine maximum est seulement un amende de 12.000,00 EURO.
Autre subtilité : l’injure publique, au sens de la loi de presse, doit être faite à raison des fonctions de la personnes visée par l’injure… alors que l’outrage à agent pour être reconnu doit avoir été fait dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de la mission de l’agent.
Moralité : même mineur, on ne ne doit pas injurier un agent de police, ni dans la rue, ni sur internet.
2014
Suppression et blocage de contenus sur internet : article 53 de la loi de 1881 (presse) ou article 6 LCEN
Matthieu CORDELIER / 0 Comments /Le Tribunal de grande instance de Toulouse, statuant en référé, vient de rendre un jugement (source : Legalis.net), par lequel il déboute le Procureur de la République, le CRIF, la LICRA et l’ACIT de leur demande tendant à supprimer l’accès à des sites internet à caractère antisémite.
Il est certes important de protéger la liberté d’expression, en soumettant les procédures pénales, ainsi que les procédures civiles, visant à engager la responsabilité des auteurs des messages incriminés au titre d’une infraction de presse à la rigueur procédurale de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (Cass. ass. plén., 15 février 2013, n°11-14.637).
Et n’apparaît pas forcément illogique le Conseil constitutionnel se soit prononcé en faveur de l’application du formalisme de l’article 53, y compris à l’assignation en référé : toute procédure doit respecter ce formalisme pour valablement limiter la liberté d’expression…
Cependant, cette affaire laisse un arrière goût amer : l’atteinte à l’ordre public perdure en raison d’un mauvais choix procédural certainement motivé par le soucis, infondé, de respecter inutilement le contradictoire : mon affirmation est sérieuse, le procureur a inutilement respecté le contradictoire en assignant la personne soupçonnée d’être l’auteur des propos incriminés.
Pour rentrer dans le détail de l’affaire présentée sur Legalis.net, la demande introduite par le Procureur, le CRIF, la LICRA et l’ACIT était fondée sur l’article 6.1.8 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 dite « LCEN » et sur l’article 50-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
L’article 6.I.8 de la LCEN 8. permet à l’autorité judiciaire de prescrire en référé ou sur requête, à tout hébergeur ou, à défaut, à tout fournisseur d’accès à internet, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.
L’article 50-1 la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit que si des publications à caractère antisémite ou raciste constituent un trouble manifestement illicite, l’arrêt du site internet (service de communication au public en ligne) peut être prononcé par le juge des référés, à la demande du ministère public et de toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir.
Or, une demande tendant à la « fermeture » d’un site publiant des propos à caractère antisémite entre bien dans le cadre d’une procédure tendant à suspendre les effets d’une publication susceptible de porter atteinte aux droits d’un ou plusieurs individus (en l’occurrence de toute une communauté religieuse).
Et, pour suspendre les effets d’une publication reprise sur un site hébergé à l’étranger et peu coopératif avec les autorités françaises, la seule mesure envisageable consiste à bloquer l’accès aux URL concernées, voire l’accès au site entier, voire au(x) serveur(s)… et cela ressort de la compétence technique des fournisseurs d’accès à internet Darty Telecom, Free, SFR, Bouygues Télécom, Orange et Numéricable… raison pour laquelle on voit ces derniers pris dans la « toile » de cette procédure.
En conséquence, le Procureur de la République semblait, en théorie, parfaitement bien fondé à solliciter que soit ordonné le blocage du site litigieux sur le fondement des articles 6.I.8 de la LCEN et 50-1 de la loi de 1881.
Pourtant, le Conseil constitutionnel, saisi par QPC du 20 février 2013 transmise par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, dans une décision n°2013-311 QPC du 17 mai 2013, notamment au visa (!) de l’arrêt du 15 février 2013 de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, avait estimé qu’il n’y aurait pas de contradiction dans les dispositions de l’article 53 de la loi de 1881 et les dispositions gouvernant la procédure de référé en ce que leur combinaison permet un « droit à un recours juridictionnel » dans le cadre de « la protection constitutionnelle de la liberté d’expression » et du « le respect des droits de la défense ».
Et c’est de ces deux décisions de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel que le Tribunal de grande instance de Toulouse tire sa solution, laquelle est indiscutablement bien construite au plan procédural, malheureusement pour le Procureur, le CRIF, la LICRA et l’ACIT qui voient la (potentielle) infraction perdurer malgré la gravité des propos tenus. C’est fort dommage et fort dommageable.
En fait, le Procureur a commis une erreur stratégique : l’article 6.I.8 de la LCEN n’exige pas que les auteurs soient attraits à la cause dans le cadre d’un référé afin de blocage de site internet.
Mais dès lors que le Procureur a fait le choix d’assigner en référé la personne faisant l’objet des poursuites au titre de l’infraction de presse, en plus des fournisseurs d’accès à internet (FAI), il s’est – malgré lui – contraint à devoir respecter le formalisme de l’article 53 de la loi de la presse lequel n’est exigé qu’au bénéfice de la personne poursuivie.
Toutefois, le dispositif de la LCEN permettait au Procureur de ne pas mettre dans la cause la/les personne(s) soupçonnée(s) d’être l(es) auteur(s) des publications incriminées : il pouvait se contenter d’assigner les FAI.
Il convient en effet de rappeler que le dispositif, certes incomplet, de la LCEN de 2004 est de faire face à la spécificité de l’internet afin de permettre, y compris sur requête, l’effacement de contenus publiés par des tiers non identifiés : en effet, sur internet, n’importe qui publie n’importe quoi, en tout anonymat (enfin cela est relatif), et la publication n’a pas de limite de durée ; à l’inverse une parution périodique papier a vocation à l’oubli, il y a une responsabilité en cascade et un directeur de publication aisément identifiable.
Or, en l’espèce, l’affaire en était à l’instruction signifiant par définition l’incertitude d’un lien entre les propos incriminés et la personnes poursuivie objet de l’instruction : on tombe dès lors très précisément dans le cadre de la LCEN ; malgré un soupçon quant à l’identité l’auteur, on agit sur le fondement de la LCEN pour faire effacer ou bloquer les contenus litigieux, sans mettre dans la cause la personne soupçonnée.
Le fait de ne pas avoir à poursuivre l’auteur soupçonné est le contrepoids de la spécificité de l’internet.
La LCEN a donc vocation à faciliter la procédure d’effacement ou de blocage des contenus publiés sur internet pour faire, sous réserve que l’on assigne pas l’auteur soupçonné.
En conséquence, face aux fournisseurs d’accès, pour bloquer le site, sans avoir à respecter l’article 53 de la loi de 1881 le Procureur aurait pu ne pas assigner le (pas encore) prévenu.
Il en est de même, face aux hébergeurs, en matière de nettoyage de e-reputation par voie d’ordonnance sur requête : le respect de l’article 53 ne s’impose pas… cependant, même dans cette matière, il convient de rappeler qu’il convient de motiver les motifs de faits et de droit sur le fondement desquels une mesure de suppression de contenu est sollicitée.
L’exercice en matière de requête afin d’ordonnance n’est pas formel comme dans le cadre de l’application de la procédure du droit de la presse, mais l’idée selon laquelle la motivation en fait et en droit doit être présente et cohérente demeure, afin de ne pas porter une atteinte excessive à la liberté d’expression.