Droit des affaires & des sociétés Droit des successions & immobilier Contrefaçon de brevets & marques Droit de l'internet & informatique

phone iconTel. : +33.1.71.18.28.68
divider

Articles

separator

Tribunal de Grande Instance de Paris

JUGEMENT rendu le 10 Octobre 2013

/ 0 Comments /

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

3ème chambre 4ème section

N° RG : 12/06930

N° MINUTE :

 

Assignation du : 04 Mai 2012

JUGEMENT rendu le 10 Octobre 2013

 

DEMANDERESSE

 

Société CIFEC

12bis rue du Commandant Pilot 92200 NEUILLY SUR SEINE

représentée par Me xxxxxxxxxx, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #xxxx

 

DÉFENDERESSES

 

Société HYDRACO PROCESS

140bis rue de Rennes 75006 PARIS

représentée par Me Matthieu CORDELIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0473

 

S.A.R.L. EIES

1 rue Voltaire

92300 LEVALLOIS PERRET

représentée par Maître xxxxxx de l’AARPI xxxxx, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #xxxx

 

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Marie-Claude HERVE, Vice-Présidente

François THOMAS, Vice-Président Laure COMTE, Vice-Présidente

assistés de Katia CARDINALE, Greffier

 

DEBATS

A l’audience du 12 Juillet 2013 tenue publiquement

Expéditions exécutoires

délivrées le : 10/10/13

 

JUGEMENT

Rendu par mise à disposition au greffe Contradictoirement

en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE :

La société Compagnie Industrielle de Filtration et d’Équipement Chimique ( CIFEC ) est spécialisée dans la fabrication et l’installation de matériels de traitement et d’analyse de l’eau, notamment pour les piscines. Elle est titulaire d’une brevet français FR 2 857 833 déposé le 23 juillet 2003 et délivré́ le 29 juin 2006, intitulé “procédé pour la filtration de l’eau à l’aide d’un filtre à diatomite et installation pour la mise en oeuvre dudit procédé”.

En 2011, elle a répondu à un appel d’offres de la commune de Megève pour des travaux à la piscine municipale mais le 18 mai 2011, cette dernière lui a notifié qu’elle n’était pas retenue. Cet appel d’offres a été remporté par la société Hydraco process, nouvellement créée et ayant pour directeur technique à compter du 27 juillet 2011, Monsieur X, ancien salarié de la société CIFEC.

Estimant que le procédé de filtration proposé à la commune de Megève contrefaisait son brevet, la société CIFEC a fait procéder le 6 avril 2012 à des saisies-contrefaçon à la mairie de Megève et dans les locaux de la piscine ainsi qu’au siège de la société Hydraco process.

Le 4 mai 2012, la société CIFEC a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris la société Hydraco process et la société EIES, entreprise sous-traitante également créée par un de ses anciens salariés, Monsieur Y, sur le fondement de la contrefaçon des revendications 1 à 3, 5 à 9 et 11 à 13 de son brevet FR 2 857 833 ainsi que sur le fondement de la concurrence déloyale. Elle sollicite une mesure d’interdiction, la condamnation in solidum des défenderesses à lui payer une provision de 300 000 €, la désignation d’un expert chargé d’évaluer son préjudice ainsi que la publication du jugement, le tout avec exécution provisoire. Elle réclame, enfin, une indemnité de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

La société CIFEC a par ailleurs intenté une action devant le tribunal de commerce de Paris contre la société Hydraco process et Monsieur X pour concurrence déloyale à raison d’actes de débauchage.

Dans ses dernières écritures du 29 avril 2013, la société CIFEC fait tout d’abord valoir que les défenderesses ne peuvent demander la nullité de la requête en saisie-contrefaçon dans le cadre de cette procédure et aurait dû saisir en rétractation, le juge l’ayant rendue. Elles ajoutent que l’absence de signature des requêtes n’est pas une cause de nullité aux termes de l’article 58 du Code de procédure civile et n’a pas causé de préjudice.

La société CIFEC soutient également que la saisie réalisée à Megève n’est pas nulle pour violation du secret des affaires et du secret en matière industrielle dès lors que la société Hydraco process n’a effectué aucune diligence pour assurer la protection des données comme la loi lui en offre la possibilité. Elle ajoute que la loi du 17 juillet 1978 n’est pas applicable en matière de saisie contrefaçon.

La société CIFEC soutient également que la saisie réalisée à la mairie de Megève n’est pas nulle en l’absence de clôture de ses opérations par l’huissier de justice et elle ajoute que la clôture a eu lieu et que l’huissier de justice a signifié le procès-verbal de ses opérations.

S’agissant de la validité de son brevet, la société CIFEC soutient que le procédé en cause est nouveau au regard des divers documents produits par les défenderesses. Elle conclut également à l’existence d’une activité inventive.

Elle fait ensuite valoir que l’installation réalisée par les défenderesses à la piscine de Megève contrefait les revendications de son brevet car il s’agit d’une installation pour la filtration de l’eau à l’aide d’un filtre à diatomite dont les caractéristiques sont identiques à celles du procédé breveté. Elle précise que la société EIES est contrefactrice car en sa qualité de sous-traitante, elle a participé à la conception de l’automatisme et au montage de l’installation et a assuré la mise en service de la filtration en exploitant le savoir acquis par Monsieur Y chez la demanderesse et protégé par le brevet.

Au titre de la concurrence déloyale, la société CIFEC fait valoir que les défenderesses utilisent une technologie protégée pour répondre à des appels d’offre. Elle maintient donc ses demandes .

Elle s’oppose par ailleurs aux demandes reconventionnelles formées pour dénigrement par la société Hydraco process et la société EIES. Elle déclare qu’elle a envoyé des copies de l’assignation en justice à différentes municipalités , à titre informatif en indiquant aux destinataires qu’elle les tiendrait informés de l’issue de la procédure.

Elle conteste également avoir utilisé la procédure pour avoir accès aux procédés de la société Hydraco process et elle conclut au rejet de sa demande pour concurrence déloyale. Enfin elle fait valoir que la présente procédure ne présente pas de caractère abusif . Elle porte sa demande fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile à la somme de 15 000 €.

Dans ses dernières écritures du 16 mai 2013, la société Hydraco process soulève tout d’abord la nullité du brevet FR 2 857 833 pour défaut de nouveauté en raison de la mise en oeuvre du procédé lors des marchés publics des villes de Neuilly sur Seine et de Colombes et de sa publication antérieure sur des brochures de la société CIFEC disponibles sur son site Internet et sur un guide consacré aux piscines. Elle invoque également plusieurs brevets détruisant cette nouveauté.

La société Hydraco process soulève aussi le défaut d’activité inventive pour l’homme du métier qui a connaissance du guide d’installation des piscines et qui sait qu’il peut utiliser un gaz injecté à l’extérieur des cellules de filtration pour décolmater et brasser les diatomées. Elle ajoute que le CCTP de la commune de Megève, comme celui d’autres communes auparavant, contenait déjà l’ensemble des revendications du brevet en cause.

La société Hydraco process soulève ensuite la nullité des saisies- contrefaçon pour défaut de signature des requêtes présentées le 26 mars 2012. Elle fait valoir qu’il s’agit d’une nullité de fond qui doit entraîner l’annulation des trois procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 6 avril 2012. Elle conclut qu’en l’absence de tout autre élément de preuve, celle-ci doit avoir pour conséquence le rejet de l’ensemble des demandes de la société CIFEC.

La société Hydraco process soulève également la nullité des saisies-contrefaçon pour violation du secret des affaires et du secret des documents techniques relatifs à un marché public. Elle invoque en outre le défaut de clôture des opérations de saisie effectuées dans la mairie de Megève par l’huissier de justice. Elle conclut à la nullité du procès- verbal de saisie et demande que les documents saisis soient écartés des débats.

Enfin, la société Hydraco process conclut à l’absence de contrefaçon et de concurrence déloyale. Elle fait valoir que son procédé est différent du procédé breveté par la société CIFEC. Elle expose que selon le procédé CIFEC, l’air est introduit sous les cellules filtrantes pour séparer les diatomées du filtre et les brasser entre les cellules filtrantes pour obtenir un lait homogène alors que le procédé qu’elle met en oeuvre, consiste à introduire l’air par un collecteur de soufflage dans les cellules filtrantes pour provoquer une surpression à l’intérieur des membranes. Elle ajoute qu’elle s’est contentée de suivre le cahier des charges de la commune de Megève . Elle conclut donc au rejet de demandes fondées sur la contrefaçon du brevet.

La société Hydraco process s’oppose également à l’action en concurrence déloyale. Elle relève que la société CIFEC ne formule aucune demande à ce titre. S’agissant des actes de débauchage, elle rappelle que le tribunal de commerce est déjà saisi de demandes la concernant tandis que le conseil des prud’hommes de Nanterre est saisi des faits concernant Monsieur X . Elle conclut donc qu’ils échappent à l’appréciation du présent tribunal. Elle ajoute que la société CIFEC ne fait pas la démonstration d’une faute quasi délictuelle alors que les procédés en présence sont distincts et n’ont donné lieu à aucune confusion auprès d’une clientèle spécialement avertie. Elle conclut qu’aucune information de la société CIFEC n’a été transmise à la défenderesse par l’intermédiaire de Monsieur X.

La société Hydraco process conteste enfin la réalité du préjudice allégué par la société CIFEC et elle déclare que si elle-même n’avait pas concouru à l’appel d’offres de la commune de Megève, la société CIFEC n’aurait pas pour autant été adjudicataire, compte tenu de l’existence d’une autre offre mieux placée.

Reconventionnellement, la société Hydraco process forme une demande pour dénigrement de la société CIFEC à son encontre. Elle expose que cette dernière a adressé à différentes municipalités une copie de l’assignation en justice avec des commentaires très orientés alors que celles-ci étaient en train d’attribuer des marchés publics relatifs à des installations de piscine. Elle relève la volonté de discréditer ses produits et services en laissant supposer qu’il pourrait s’agir de contrefaçon.

La société Hydraco process reproche également à la société CIFEC d’avoir procédé à des saisies-contrefaçon en vue d’avoir accès à des documents techniques et commerciaux confidentiels remis à la commune de Megève alors que les constations techniques à la piscine municipale suffisaient à établir une éventuelle contrefaçon.

La société Hydraco process réclame ainsi la somme de 300 000 € au titre des faits de concurrence déloyale. Estimant en outre que la procédure engagée à son encontre présente un caractère abusif, elle sollicite également la somme d’un euro. Enfin, elle demande une indemnité de 20 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures du 13 février 2013, la société EIES expose qu’elle a été créée en 2007, par Monsieur Y, salarié de la société CIFEC de 1974 jusqu’au 17 juin 2012. Elle explique qu’à compter de 1997, madame Coupé a fabriqué des housses destinées à couvrir certains éléments du système de filtration et que pour les besoins de cette activité, elle a créé, avec son époux, la société EIES. Elle ajoute qu’elle a étendu ses activités auprès d’autres entreprises et qu’elle a ainsi concouru à un appel d’offre de la commune de Savigny le Temple et s’est trouvée en concurrence avec la société CIFEC, ce qui a valu à Monsieur Y un avertissement disciplinaire en décembre 2010.

La société EIESconteste tout d’abord la validité de opérations de saisie- contrefaçon en développant les mêmes moyens que la société Hydraco process tenant à l’absence de signature des requêtes et la violation du secret des affaires et de documents techniques.

Elle fait ensuite valoir qu’elle n’a pas commis d’acte de contrefaçon, une simple particpation n’étant pas sanctionnée dès lors que les conditions de l’article L613-4 du Code de la propriété intellectuelle ne sont pas réunies. Elle relève que notamment les moyens fournis doivent se rapporter à un élément essentiel de l’invention et elle rappelle qu’elle a fourni une armoire électrique permettant de faire fonctionner le filtre installé par la société Hydraco process.

A titre subsidiaire, la société EIES soulève la nullité du brevet en faisant valoir que le procédé breveté a été divulgué par la société CIFEC elle-même dès 1995, plus de huit ans avant le dépôt du brevet. Elle ajoute que les procédés en présence sont différents et qu’il ne peut donc exister de contrefaçon. Elle conclut donc au rejet des demandes formées sur le fondement de la contrefaçon.

Elle conclut également au débouté de l’action en concurrence déloyale en l’absence de faute distincte de la contrefaçon. Elle explique, au surplus, que Monsieur Y n’a commis aucune faute dans le cadre du marché de Savigny le Temple et qu’en toutes hypothèses, celle-ci ne serait pas imputable à la défenderesse.

Reconventionnellement, la société EIES forme des demandes à l’encontre de la société CIFEC en nullité du brevet FR 2857 883 en raison de son absence de nouveautés ainsi qu’il ressort des divers documents produits et également évoqués par la société Hydraco process. Elle invoque aussi le défaut d’activité inventive alors que l’homme de métier en possession du guide d’installation des piscines, est en mesure d’envisager de façon évidente, à partir de n’importe quel brevet antérieur, l’utilisation de l’air injecté sous pression sous les cellules de filtration pour décolmater la membrane et brasser les diatomées pour régénérer un lait qui pourra composer un nouveau substrat de filtrage. Elle demande que soit prononcée l’annulation du brevet et que soit ordonnée la publication du jugement.

En deuxième lieu, la société EIES forme une demande en dommages intérêts pour dénigrement en invoquant une lettre de la société CIFEC à la commune de Savigny le Temple du 9 décembre 2010 ainsi qu’une lettre à la commune de Megève du 23 juin 2011 et à la commune de Courchevel avant l’attribution d’un marché public concernant le traitement de l’ eau de la piscine municipale. La société EIES reproche en outre à la société CIFEC l’invocation en connaissance de cause d’un brevet nul en vue de ternir l’image de la société eies. Elle réclame, pour ces actes de concurrence déloyale, la somme de 150 000 € à titre de dommages intérêts.

La société EIES fait, par ailleurs, valoir que le procédé de décolmatage breveté par la société CIFEC est inefficace alors que celui mis au point par la société Hydraco process est, au contraire, performant . Elle fait valoir que les saisies -contrefaçon irrégulièrement réalisées ont permis à la société CIFEC de prendre connaissance du savoir-faire et des connaissances techniques des défenderesses. Elle invoque un trouble commercial et un préjudice moral tenant à l’atteinte à son image auprès de la commune de Megève pour laquelle elle assure l’entretien de l’installation électrique de la piscine. Elle réclame au titre de la réparation de ces préjudices la somme de 150 000 €.

Enfin, elle soutient que la demanderesse a commis un abus de droit en engageant la présente instance et elle sollicite la somme de 50 000 € à titre de dommages intérêts, outre la somme de 35 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, le tout avec exécution provisoire.

 

MOTIFS DE LA DECISION :

1/ sur les demandes de la société CIFEC :

 

A/ Sur les demandes fondées sur la contrefaçon de son brevet :

 

Ces demandes sont fondées sur les informations et documents obtenus lors de saisies-contrefaçon réalisées le 6 avril 2012 à la mairie de Megève, à la piscine municipale de cette vile et dans les locaux de la société Hydraco process.

Ces saisies ont été réalisées à la suite de deux requêtes présentées au président du tribunal de grande instance de Paris, le 26 mars 2012.

Selon l’article 813 du Code de procédure civile, la requête est présentée par un avocat ou un officier public ou ministériel lorsqu’il y est habilité par des dispositions en vigueur.

Il est constant que les deux requêtes présentées au nom de la société CIFEC ne sont pas signées. Elles mentionnent que maître Z avocat au barreau de Paris est l’avocat de la société CIFEC. Néanmoins cette seule mention ne permet pas de connaître l’identité et la qualité de la personne ayant effectivement formulé la requête en l’absence de toute signature. Cette absence de signature constitue un vice de fond qui entraîne la nullité de l’acte sans qu’il soit nécessaire d’établir l’existence d’un grief.

Par ailleurs, le juge qui a rendu l’ordonnance est exclusivement compétent pour connaître du recours en rétractation de l’article 496 al2 du Code de procédure civile mais ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le juge du fond appréciant la validité des éléments de preuve qui lui sont soumis, puisse annuler des procès-verbaux de saisie pour des motifs tirés des conditions de délivrance de l’ordonnance.

Ainsi l’absence de signature de la requête vicie l’ensemble des actes subséquents et le tribunal est compétent pour prononcer la nullité des procès-verbaux des opérations de saisie réalisées tant à Paris au siège social de la société Hydraco process qu’à Megève dans les locaux de l’hôtel de ville et de la piscine municipale.

Les demandes fondées sur la contrefaçon du brevet FR 2 857 833 de la société CIFEC reposant uniquement sur les informations et documents obtenus lors des saisies contrefaçon, doivent être rejetées en l’absence de tout élément de preuve valide.

 

B/ sur les demandes fondées sur la concurrence déloyale :

 

La société CIFEC reproche aux défenderesses sur le fondement de la concurrence déloyale, d’avoir utilisé un technologie protégée afin de pouvoir répondre à des appels d’offre notamment dans le cadre du marché de Megève.

Néanmoins la société CIFEC n’a pas apporté la preuve que les défenderesses avaient proposé le procédé breveté à la commune de Megève de telle sorte qu’elle ne démontre aucune faute, laquelle si elle était constituée, ne serait en toutes hypothèses pas distincte des faits de contrefaçon.

Par ailleurs, la société CIFEC n’effectue aucune démonstration en vue d’établir que la clientèle des installations de piscine qui, au vue des débats sont essentiellement des collectivités locales disposant de services techniques, aurait commis une confusion entre son procédé de filtrage et celui proposé par les défenderesses.

Aussi les demandes de la société CIFEC fondée sur la concurrence déloyale seront également rejetées.

 

2/ Sur la demande reconventionnelle de la société Hydraco process et de la société EIES en nullité du brevet FR 2 857 833 :

 

A/ le brevet :

 

Le brevet FR 2 857 883 porte sur un procédé pour la filtration de l’eau à l’aide d’un filtre à diatomite et installation pour la mise en oeuvre dudit procédé.

La filtration de l’eau est réalisée au moyen d’une couche de diatomite déposée sur les parois de la cellule de filtration. Pendant le processus de filtration, les sédiments se déposent sur l’écran que constitue la couche de diatomite, ce qui s’oppose au passage de l’eau et entraîne une perte progressive de charge dans le filtre. Il est donc nécessaire d’effectuer son décolmatage en procédant à une désintégration de la couche de diatomite chargée d’impuretés et recouverte d’une pellicule de dépôts puis à une reconstitution de cette couche sur les parois de filtration.

Ce décolmatage doit pouvoir s’effectuer de façon automatique sans engendrer de consommation d’eau importante ni de perte de diatomite, en évitant les manipulations pénibles pour le personnel.

L’invention a pour objet de parvenir à ce résultat grâce à un procédé de filtration comprenant un processus de décolmatage à l’air comportant une phase d’injection d’air comprimé à l’intérieur de la cuve de manière à engendrer, grâce à l’action mécanique conjuguée de l’air et de l’eau, la désintégration de la couche de diatomite et de la pellicule de sédiments et à effectuer un brassage de la diatomite et de ces sédiments dans l’eau de manière à obtenir à nouveau, un lait homogène de diatomite. Cette phase d’injection de l’air est suivie d’un processus de réformation d’une nouvelle couche de diatomite en faisant fonctionner le filtre en circuit fermé par un rebouclage du circuit d’eau purifiée sur la pompe, jusqu’à ce que la diatomite contenue dans le lait se soit redéposée sur les parois de la cellule de filtration.

La revendication n°1 du brevet décrit dans son préambule un procédé de filtration de l’eau à l’aide d’un filtre à diatomite et dans sa partie caractérisante, le processus de décolmatage par injection d’air pour obtenir la désintégration de la couche de diatomite et de la croûte de sédiments et le brassage de la diatomite et de ces sédiments dans l’eau de manière à obtenir un lait homogène de diatomite, la phase d’injection d’air étant suivie d’une phase de reformation d’une nouvelle couche de diatomite, en faisant fonctionner le filtre de manière à ce que la diatomite contenue dans le lait se redépose sur les parois filtrantes.

Le brevet comporte 12 autres revendications dépendantes.

 

B/ sur la validité du brevet au regard de l’exigence de nouveauté :

 

Le cahier des clauses techniques particulières de la ville de Neuilly sur Seine daté du 14 mars 2001 porte sur un procédé de filtration de l’eau au moyen d’un filtre à diatomite avec un processus de décolmatage des sédiments se déposant sur les parois de filtration par l’arrêt de la pompe. Les bassins étant en charge, l’eau reflue et crée à l’intérieur des cadres entoilés de la cellule de filtration, une contre pression qui décolle les gâteaux et entraîne leur chute verticale. Puis la réformation du gâteau est réalisée grâce à une recirculation de l’eau en circuit fermé à l’intérieur du filtre.

Ce cahier des charges indique en outre que l’installation comprend un compresseur d’air et son ballon pour la production d’air moteur et la production d’air décolmatage.

Néanmoins, la société CIFEC indique que l’air comprimé n’est pas utilisé pour le décolmatage des sédiments mais pour l’évacuation des diatomées lorsque leur épuisement complet est signalé. Après un barbotage à l’air comprimé, un courant d’eau permet leur évacuation vers l’égout sans démontage du filtre .

Ainsi ce document ne fait pas apparaître une utilisation de l’air comprimé pour le décolmatage des sédiments mais uniquement pour l’évacuation des diatomées au moment de leur remplacement. Il ne détruit donc pas la nouveauté du brevet.

Le cahier des clauses techniques particulières de la ville de Colombes daté de novembre 1999 indique la présence d’un filtre à diatomées, avec décolmatage automatique par air comprimé et eau. Il est précisé que le décolmatage automatique (air comprimé d’eau) s’effectue par arrêt de la pompe et la manoeuvre de deux vannes à la remise en service pour l’empactage du gâteau.

Cependant cette description est trop imprécise pour qu’il puisse être retenu de façon certaine une utilisation d’air comprimé dans les mêmes conditions et pour le même objectif que dans le brevet de la société CIFEC. Ce document n’en détruit donc pas la nouveauté.

La notice n°107 “ piscines publiques les huit étapes ” datée d’avril 2005 publiée sur le site Internet de la société CIFEC, est postérieure au dépôt du brevet effectué en juillet 2003. Néanmoins elle indique en page 10 que “depuis dix ans, les filtres CIFEC sont équipés en position basse d’une rampe de distribution d’air qui est insufflé après un premier décolmatage à l’eau. Cette injection automatique crée une importante émulsion entre les plateaux de façon à décrocher les diatomées n’étant pas tombées après décolmatage à l’eau. Le décolmatage à l’air et à l’eau des filtres à diatomées CIFEC pour piscines publiques est unique au monde et breveté. Le programmateur ordonne le décolmatage et commande automatiquement la remise en marche. Cette remise en fonctionnement a pour effet de relancer un nouveau cycle d’empatage de la chambre du filtre, ce qui redonne une nouvelle porosité aux gâteaux qui se reforment en surface des toiles. La séquence de reformation du gâteau est réalisée grâce à une recirculation d’eau en circuit fermé à l’intérieur du filtre”.

Il ressort ainsi de cette notice datée de 2005 que la société CIFEC commercialise un procédé de filtrage avec décolmatage automatique des diatomées par injection d’eau et d’air comprimé depuis 10 ans soit depuis 1995. Ainsi cette notice réalisée par la société CIFEC constitue une preuve d’une divulgation du procédé objet de l’invention, antérieure au dépôt du brevet.

La société CIFEC fait valoir que le procédé décrit dans la notice comporte une 1ère phase de décolmatage à l’eau avant une seconde phase de décolmatage à l’air et à l’eau et qu’il n’est donc pas identique au procédé breveté.

Néanmoins, il y a lieu de constater que l’ensemble des étapes et des moyens du procédé breveté se trouve décrit dans cette notice de telle sorte que la nouveauté se trouve effectivement détruite et qu’en toutes hypothèses, la suppression d’une 1ère phase de décolmatage à l’eau ne relèverait pas d’une activité inventive.

Ainsi la société CIFEC ayant divulgué l’invention telle que présentée dans la revendication n°1 avant d’avoir procédé au dépôt du brevet, celle-ci ne présente pas le caractère nouveau requis par la loi et doit être déclarée nulle.

Bien que la demanderesse ait invoqué également les revendications dépendantes 2 et 3, 5 à 9 et 11 à 13 de son brevet FR 2 857 833 et que les défenderesses aient sollicité l’annulation du brevet dans son ensemble, il y a lieu de constater qu’il ne s’est pas instauré de discussion sur la validité des revendications dépendantes.

Il s’en déduit que la nouveauté et l’activité inventive du brevet étaient uniquement incluses dans la revendication n°1 de telle sorte que l’ensemble des revendications qui portent sur des aménagements secondaires, seront donc annulées.

 

3/ sur la demande reconventionnelle en concurrence déloyale de la société Hydraco process :

 

A/ sur le dénigrement :

 

La société Hydraco process reproche à la société CIFEC des actes de dénigrement en raison de l’envoi d’une copie de l’assignation en justice aux municipalités de Megève, Courchevel et Colombes (pièces 35 et 36) alors que celles-ci étaient en train d’effectuer des appels d’offres pour des installations de piscines.

Elle fait valoir que ce comportement a pour effet de jeter le discrédit sur ses produits et services alors que les municipalités étaient engagées dans un processus d’attribution de marchés.

Dans ces courriers, la société CIFEC se contente d’informer ces communes de l’existence d’une procédure de contrefaçon du procédé mis en oeuvre à la piscine de Megève identique à celui qui leur est proposé. Les termes ne sont pas excessifs et les propos ne contiennent aucune affirmation sur le caractère contrefaisant du procédé de la société Hydraco process.

Cependant l’assignation qui est jointe à ces courriers, présente de manière beaucoup moins impartiale les faits reprochés à la société Hydraco process et en la joignant aux lettres, la société CIFEC a fait perdre à l’information qu’elle délivrait leur caractère pondéré et strictement nécessaire pour manifestement tenter d’influencer la décision des communes sur l’attribution des marchés ( “Nous vous laissons en tirer les conséquences ”).

Aussi il y a lieu de retenir que les propos de la société CIFEC relatifs à l’existence d’une procédure de contrefaçon pendante devant le tribunal sont fautifs .

 

B/ sur l’atteinte portée au secret des affaires et au secret industriel :

 

La société Hydraco process fait valoir que par le moyen de saisies- contrefaçon réalisées sur la base d’un brevet nul, la société CIFEC a eu accès à des documents techniques et notamment le mémoire technique en violation de la loi du 17 juillet 1978 régissant l’accès aux documents administratifs.

Elle ajoute que la saisie-contrefaçon dans les locaux de la piscine aurait suffit à établir la contrefaçon et à assurer la complète information de la société CIFEC puisque la proposition chiffrée qu’elle avait effectuée avait été portée à la connaissance de l’ensemble des candidats à l’appel d’offres.

Cependant il est de principe que le saisissant doit avoir accès à tous documents susceptibles de contribuer à la preuve de la contrefaçon quand bien même seraient ils confidentiels.

Ainsi le fait que le mémoire technique ne puisse être communiqué au public ne constitue pas un obstacle à sa saisie alors qu’il constitue un document pertinent pour établir la contrefaçon puisqu’il décrit le procédé proposé susceptible de contrefaire le brevet. Aussi, il ne peut être reproché à la société CIFEC d’avoir cherché à se procurer ce document en procédant à une saisie dans les locaux de l’hôtel de ville de la commune de Megève.

Par ailleurs, il n’est pas établi que la société CIFEC ait agi de mauvaise foi en ayant eu conscience du vice affectant son brevet et avec l’intention de s’emparer du savoir technique de son concurrence plutôt que de démontrer l’existence d’une contrefaçon.

Dès lors il n’est pas démontré un comportement fautif de la part de la société CIFEC.

Compte tenu du fait qu’il n’est pas allégué que les propos dénigrants de la société CIFEC à l’égard de la société Hydraco process aient eu pour effet de faire perdre les marchés en cause, le préjudice subi par la société Hydraco process est une atteinte à sa réputation et il lui sera alloué la somme de 10 000 € à titre de dommages intérêts.

 

4/ sur les demandes reconventionnelles de la société EIES:

 

A/ sur le dénigrement :

 

La société EIES invoque l’envoi d’une lettre à la commune de Savigny le Temple le 9 décembre 2010 dans laquelle la société CIFEC mentionne des “faits pouvant remettre en cause l’attribution du marché sous prétexte de conflit d’intérêt, de concurrence déloyale et de risque d’entente illicite” en faisant état des faits qu’elle reproche à Monsieur Y, en mettant en doute la possession par l’entreprise des assurances adaptées aux travaux à réaliser ainsi que ses compétences techniques et en concluant qu “il y a clairement conflit d’intérêt et de concurrence déloyale”.

Cette lettre procède à des accusations sans émettre aucune réserve sur l’appréciation des faits qu’elle dénonce. Elle vise ainsi à discréditer les services de la société EIES, en mettant en doute ses compétences techniques et les garanties qu’elle offre, afin de convaincre la municipalité de Savigny Le temple de revenir sur sa décision de faire appel à cette entreprise.

Il y a lieu de considérer que cette lettre constitue un acte de concurrence déloyale en dénigrant les services d’une entreprise auprès d’un de ses clients afin de lui faire perdre un marché.

La société EIES invoque ensuite une lettre adressée à la commune de Megève le 23 juin 2011 dans laquelle la société CIFEC déclare avoir “téléphoniquement émis des doutes sur les compétences de cette société unipersonnelle créée en 2011 au capital de 15 000 € et qui n’a aucune référence”.

Cependant ainsi qu’il ressort du contexte, ces propos visent non pas la société EIES créée en 2007 au capital de 7 500 € mais la société Hydraco process de telle sorte que la société EIES n’a pas qualité ni intérêt pour s’en plaindre.

La société EIES vise enfin un mail adressé à la commune de Courchevel le 11 mai 2012 ainsi qu’un mail adressé à la commune de Colombes en juillet 2012. Ces mails sont ceux dont se plaint la société Hydraco process et pour les mêmes motifs que ceux susmentionnés, il y a lieu de les considérer comme fautifs.

Ainsi ces lettres étant à l’origine d’un préjudice tenant à l’atteinte portée à la réputation de la société EIES auprès de ses clientes, il sera alloué à la société EIES la somme de 20 000 € à titre de dommages intérêts.

 

B/ sur l’invocation en connaissance de cause d’un brevet nul :

 

La société EIES fait valoir que la société CIFEC ne pouvait ignorer que son brevet était nul en raison d’une autodivulgation au moment des saisies-contrefaçon en avril 2012 car le conseil de la société Hydraco process le lui avait écrit le 4 août 2011.

Néanmoins la lettre du 4 août 2011 ne mentionne pas l’existence d’une autodivulgation et il n’est pas établi de façon certaine que la société CIFEC a agi en connaissant le vice affectant son brevet.

Aussi la demande en dommages intérêts fondée sur ces faits sera rejetée.

 

C/ sur les conséquences de l’irrégularité des saisies-contrefaçon :

 

La société EIES fait valoir que par le moyen des saisies-contrefaçon, la société CIFEC a obtenu des informations confidentielles concernant la société Hydraco process et la société EIES (plan de l’armoire électrique) dont elle n’a pas hésité à se servir. Elle explique que le procédé breveté de la société CIFEC est inefficace et qu’elle a obtenu des informations couvertes par le secret de fabrique des sociétés Hydraco process et EIES qu’elle a indûment reprises pour son compte, sans contrepartie financière. Elle invoque un préjudice moral et un trouble commercial.

Cependant la société EIES n’a ni qualité ni intérêt à se plaindre d’une appropriation des connaissances techniques et du savoir-faire de la société Hydraco process et s’agissant du plan de l’armoire électrique, elle ne justifie ni de l’existence d’éléments confidentiels ni de leur utilisation par la société CIFEC.

Sa demande en dommages intérêts sera donc rejetée.

 

5/ Sur les demandes pour procédure abusive :

 

La mauvaise foi de la société CIFEC n’est pas établie non plus qu’une légèreté blamable, il n’y a pas lieu de considérer la procédure engagée à l’encontre des sociétés Hydraco process et EIES comme étant abusive.

Il n’y a pas lieu d’ordonner la publication de la décision.

Il sera alloué à chacun des défendeurs la somme de 8 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

L’exécution provisoire du jugement sera ordonnée sauf en ce qui concerne la décision d’annulation du brevet de la société CIFEC.

 


PAR CES MOTIFS :

 

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe,

contradictoirement et en premier ressort,

Déclare nulles les requêtes en saisie-contrefaçon déposées le 26 mars 2012 par la société CIFEC ainsi que tous les actes subséquents,

Rejette les demandes de la société CIFEC fondées sur la contrefaçon du brevet FR 2 857 833,

Rejette les demandes fondées sur la concurrence déloyale à l’encontre des sociétés Hydraco process et EIES,

Prononce l’annulation du brevet FR 2 857 833 de la société CIFEC pour l’ensemble de ses revendications,

Dit que la présente décision sera transmise à l’INPI pour son inscription au registre national de brevets, par la partie la plus diligente, une fois la décision devenue définitive,

Condamne la société CIFEC à payer à la société Hydraco process la somme de 10 000 € à titre de dommages intérêts en réparation des actes de dénigrement commis au préjudice de cette dernière,

Condamne la société CIFEC à payer à la société EIES la somme de 20 000 € en réparation du préjudice subi du fait de dénigrement,

Rejette les autres demandes de la société EIES,

Rejette les demandes des sociétés Hydraco process et EIES pour procédure abusive,

Dit n’y avoir lieu à publication de la décision,

Condamne la société CIFEC à payer à la société Hydraco process et à la société EIES chacune la somme de 8 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

Ordonne l’exécution provisoire du jugement sauf en ce qu’il prononce l’annulation du brevet,

Condamne la société CIFEC aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Cordelier, selon les règles de l’article 699 du Code de procédure civile.

 

Fait et jugé à Paris le 10 Octobre 2013

 

Le Greffier Le Président

 

separator

No comments so far!

You must be logged in to post a comment.